Nellie Bly : une femme pionnière du journal d’investigation dès les années 1880. Une BD lui rend hommage
Elizabeth Jane Cochrane, dite Nellie Bly, est la pionnière du journalisme d’investigation aux USA (Albert Londres fut son pendant bien plus tard en France). En 1887, elle se fait interner dans un asile pour femmes et livre un article pour raconter de l’intérieur l’hôpital psychiatrique Blackwells Island Hospital à Roosevelt Island. Elle reste dix jours dans l’hôpital. Le reportage fait la une de toute la presse et fait scandale en dévoilant les conditions épouvantables des patientes et les horreurs des méthodes utilisées (nourriture avariée, eau souillée, bâtiments infestés). Il amènera un changement radical des pratiques. Elle publie son aventure sous le pseudonyme de L. Munro : Ten Days in a Mad-House (1887). Ce mode de journalisme, le reportage clandestin, devient sa spécialité. La BD « Nellie Bly : dans l’antre de la folie » raconte cet épisode.
Ce n’est qu’en 1925, qu’Albert Londres fera la même expérience et publiera ses reportages « Chez les Fous ».
Elle releva le défi du tour du Monde pour battre le record du héros de Jules Verne, Phileas Fogg. En 1888, il vient à l’idée de Nellie Bly de faire le tour du globe pour battre Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne. Mais le financier du New York World, George W. Turner, refuse de la soutenir, estimant qu’une femme est incapable d’un tel périple. Ce n’est donc qu’un an plus tard qu’elle entame son voyage de 40 070 kilomètres à Hoboken (New Jersey) le 14 novembre 1889, à 9 heures 40 pour le terminer le 25 janvier 1890. Ce voyage aura duré exactement 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes, le record de l’époque. Elle aura fait un détour par Amiens pour rencontrer Jules Verne.
Elle fut correspondante de guerre lors de la Première Guerre mondiale. Elle republie alors ses articles sous le nom de Nellie Bly, nom qu’elle avait abandonné au moment de son mariage. Après la guerre, de retour à New York, elle reprend ses articles sur le monde ouvrier, sur l’enfance et œuvre pour le droit de vote des femmes.
À l’âge de 57 ans, elle meurt le 27 janvier 1922 d’une pneumonie au Saint Mark Hospital de New York. Elle est inhumée au cimetière de Woodlawn dans le Bronx. Le lendemain de sa mort paraît un article sur la meilleure journaliste d’Amérique.
Un prix journalistique, le Nellie Bly Club Reporter, sera créé par le New York Press Club. Il est décerné aux meilleurs travaux produits par des jeunes journalistes.
Nellie Bly : dans l’antre de la folie
Glénat (Groupe)
Biographie en bande dessinée de la pionnière américaine du journalisme d’investigation N. Bly (1864-1922), qui s’est fait passer pour folle afin de pouvoir enquêter sur le traitement réservé aux résidentes de l’hôpital psychiatrique de Blackwell à New York. Elle y découvre un univers glacial où le sadisme et la misogynie dominent et où l’internement arbitraire est monnaie courante.
Résumé de l’album : Dans l’antre de la folie
En 1887, à New York, une jeune femme intègre la pension de Mme Stanard. Très vite, son comportement vis-à-vis de sa logeuse et des autres pensionnaires laisse à penser qu’elle n’a pas toute sa tête. Se nommant Nellie Brown, elle trouble la quiétude des lieux et finit par se retrouver bientôt entre les mains de la police urbaine. Après être passée devant un juge, elle est envoyée à l’hôpital Bellevue. Durant son bref séjour, elle rencontre médecins, hommes sinistrement entreprenants et autres femmes connaissant les mêmes vicissitudes et se voit condamnée à être internée à Blackwell, l’île des indigents sans le sou. Qui est donc Nellie Brown et quel est son secret ? Ne serait-ce pas Nellie Bly, journaliste d’investigations, qui, sous une folie feinte, enquête sur les conditions d’internement des femmes à l’asile ?
Par Phibes, le 29/03/2021
Notre avis sur l’album : Dans l’antre de la folie
Au sein du 9ème art, Elizabeth Jane Cochrane, surnommée Nellie Bly, initiatrice du journalisme d’investigation, a déjà été mise à l’honneur depuis ces dernières années. En effet, après un encart en 2017 dans la série Culottées (tome 2) de Pénélope Bagieu, ce personnage charismatique, véritable icône féminin engagé dans l’art de l’émancipation et de la dénonciation des dérives de la société américaine de la fin du 19ème siècle, s’est vu mis en valeur deux fois en 2020 (au travers d’un one-shot réalisé par le duo italien Luciana Cimino et Sergio Algozzino chez Stenkis et du tome 2 dans la série Pionnières de Nicolas Jarry et Guillaume Tavernie chez Soleil). Aujourd’hui, c’est au tour de Glénat de mettre en avant un récit complet sur celle-ci porté par Virginie Ollagnier et Carole Maurel.
Afin de caractériser ce fameux personnage, les auteurs ont pris parti de se focaliser sur l’enquête que la jeune journaliste (âgée tout juste de 23 ans) a réalisé pour le compte du journal New York World sur les conditions d’internement de femmes dans les structures psychiatriques new-yorkaises. Traitée comme un roman et se rattachant à une documentation particulièrement riche issue de l’ouvrage écrit par l’investigatrice (Dix jours à l’asile), cette évocation permet de découvrir le mode opératoire de cette journaliste qui n’a pas hésité à s’immerger dans le système pour en dénoncer les dérives.
Force est de constater que cet album, si on ne connaît pas le personnage, a toutes les qualités requises pour le découvrir et par son biais, de soulever une problématique ô combien effarante concernant les conditions d’accueil et de soins des femmes « aliénées » de cette époque. Sous le couvert d’une belle simplicité narrative, Virginie Ollagnier nous place dans l’ombre de la courageuse Nellie Bly, et en spectateur privilégié, nous dévoile, et son passé via de larges flash-back, et le parcours douloureux mené par celle-ci très investie dans ses recherches. Nombreux sont les témoignages relevés, les rencontres évoquées, les souffrances soulevées dans cette antre de la folie, dans cette prison pour femmes en détresse, qui dénotent que l’institution médicale concernée n’avait rien d’une sinécure et à ce titre, la scénariste nous glace le sang avec justesse et fluidité.
Il va de soi que le travail réalisé par Carole Maurel accompagne superbement les intentions de la scénariste. À cet égard, au vu des nombreuses esquisses annexées en fin d’ouvrage qui trahissent un gros travail de recherches, la dessinatrice démontre une réelle maturité picturale dans le sens que son trait semi-réaliste joue très brillamment sur les ambiances « folles », nous entraînant parfois dans des dérives cauchemardesques à la Lovecraft particulièrement bien tentées. Certes, la douceur graphique associée à une belle colorisation, n’estompe pas la douleur ambiante mais attise une réelle empathie vis-à-vis du personnage principal et de ses « codétenues ». Elle conforte à juste titre le caractère de Nellie, son engagement inébranlable à dénoncer le mauvais traitement de ces femmes, les conditions inhumaines dans lesquelles elles sont « soignées » et suscite avec habileté de nombreuses émotions…
Un biopic superbement réalisé qui produit ses effets et nous enseigne avec efficacité sur la pionnière d’enquête journalistique clandestine à l’origine d’une longue lignée d’émules.
Par Phibes, le 29/03/2021