Robert Kühm

« On n’en parle jamais assez »

Rencontré dans son petit village du Nord-Ouest de l’Alsace, à Schillersdorf, Robert Kuhm, ancien agriculteur, regorge de photographies et récits paternels de la période 14-18. Né en 1927, dans l’entre-deux guerres, l’Alsacien au fort accent revient sur ses souvenirs d’écolier, au moment où la Grande Guerre était déjà oubliée, balayée par le second conflit mondial. Interview. 

Robert Kühm

Une mallette remplie de souvenirs, Robert décrypte les photographies de 14-18 héritées par son père. Photo : Marie Zinck

Vous aviez 12 ans lorsque la seconde guerre mondiale débuta. A cet âge, vous parlait-on à l’école du précédent conflit ?

Non pas tellement. Et je ne sais pas pourquoi. C’est uniquement mon père qui m’en a parlé mais, en fin de compte, certains ont dit plus tard qu’ils en avaient assez d’entendre ça, qu’ils ne voulaient plus savoir. Avec mes petits-enfants maintenant, c’est la même chose.
A l’école il y avait quatre classes, une petite et une grande école. Dans la petite école, on apprenait à lire et à écrire mais pas sans fautes encore ! Et puis il y avait l’autre école où on aurait pu étudier quelque chose mais à ce moment-là il y avait la deuxième guerre. Il y avait une institutrice et un instituteur, sauf qu’en 1938, après la mobilisation, ils ont dû partir. Après, il y avait des institutrices, des demoiselles qui avaient le niveau actuel de la classe de troisième. Donc là, il n’y avait pas grand-chose à apprendre !

C’est votre père qui vous a tout expliqué au sujet de la première guerre mondiale ?

Non pas tout. Il y a des familles qui ont souffert plus et d’autres ou ça s’est bien passé, c’est toujours pareil. Comme mon beau-frère habitait Metz j’allais souvent à Verdun et à Douamont pour voir les lieux où ça s’est passé. Des copains de mon père étaient ensemble à Verdun, là ils racontaient l’horreur ! Mais à l’école, ce n’était jamais abordé. Schillersdorf était isolé, chaque village était isolé. Il n’y avait pas de radio, pas de télévision, il y avait le journal les Dernières Nouvelles d’Alsace, qui était d’ailleurs censuré.

A l’époque, à l’école de Schillersdorf, quelle était la langue parlée ?

On était obligé de parler le français. Mes parents ne comprenaient pas un mot de français, tout le village était pareil. A l’école, si on parlait alsacien, on avait une punition. On attendait qu’un autre dise un mot en alsacien et il était aussi puni !

 Votre père a donc participé à la première guerre mondiale ?

Oui, il était sur le front russe, en Pologne. Il n’était pas au front combattant, il était dans le génie civil en tant qu’auxiliaire : ceux qui étaient handicapés et qui avaient une déficience devaient tout de même partir en tant qu’auxiliaire et travailler près du front. Il est né en 1891, il a eu la poliomyélite sauf qu’il n’existait pas de vaccin et qu’il en a gardé des séquelles.

Qu’est-ce qu’il vous a raconté exactement de cette guerre ?

Il n’a pas vraiment vu d’horreur, c’était plus vers Verdun. J’en ai parlé avec des copains de mon père qui étaient sur place. Mais bon, il y avait dans le temps des horreurs, mais aujourd’hui ce sont les mêmes ! Je ne comprenais le conflit que par les récits de mon entourage.

Souvenirs

Né en 1891, son père était sur le front russe pendant la première guerre mondiale.
Photo: Marie Zinck

Saviez-vous si, comme vous et votre père, les gens parlaient du premier conflit mondial entre eux ?

Entre eux, ils en parlaient toujours.

Lorsque la deuxième guerre a commencé, parlait-on encore de la première ?

Non. Elle était complètement oubliée. Il y a eu tout de suite des victoires allemandes alors la première guerre était oubliée, tout le monde était « fasciné » par ça.

Et qu’est-ce que nous, étudiants, nous devrions retenir de la première guerre mondiale, selon vous ?

La pauvreté des gens. Mais je parle surtout par rapport au village, à Schillersdorf. Ils ne voulaient pas grand-chose non plus, ils mangeaient de la viande une fois par semaine, le dimanche. Dans les villes c’est autre chose. Les gens étaient aussi pauvres, et certains disaient même que c’était pire. Dans les villages il y avait toujours quelque chose à manger.

Cette année, nous commémorons le centenaire de la Grande Guerre. Selon vous, les médias en parlent-ils suffisamment, trop ou pas assez ?

Pour moi, on n’en parle jamais assez. Pour ceux que ça n’intéresse pas c’est autre chose ! Mais on en a jamais parlé autant que depuis qu’on célèbre le centenaire. Si on en avait plus parlé avant, vous en sauriez aussi sûrement plus ! La première guerre mondiale a été complètement occultée par la dernière guerre.

Propos recueillis par Marie ZINCK