En Bosnie-Herzégovine, cette jeunesse qui résiste
La jeunesse bosnienne cherche un nouveau souffle. Beaucoup d’entre eux s’exilent. Taux de chômage élevé, corruption, les raisons au départ sont nombreuses. Mais d’autres souhaitent rester pour changer les choses de l’intérieur. Rencontre avec ces jeunes pour qui l’exil n’est pas une solution.
« Bien sûr que j’aime mon pays. La preuve, je veux y vivre avec ma femme. Ce sont les personnes qui gèrent le pays qui ne l’aiment pas ». Ermin Sukojić a 29 ans. Il est bosniaque et a passé la majorité de sa vie à Mostar. Ce n’est qu’au moment de la guerre de Bosnie-Herzégovine en 1992 qu’il a dû quitter son pays. À huit ans, il revient et retrouve un territoire ravagé. Aujourd’hui, la Bosnie-Herzégovine a changé, Ermin aussi. Il a grandi d’abord. Du haut de son mètre quatre-vingt, ce gaillard arbore de nombreux tatouages. Avec son épaisse barbe rousse et son qamis rouge, le pantalon traditionnel musulman, difficile de caractériser le style d’Ermin.
Dans la vie, il fait de la sculpture et de la peinture. Sans oublier le commerce. Au cœur de la vieille ville, l’auberge de jeunesse dont il est le patron est décorée de l’un de ses tableaux. À Mostar, tout le monde connaît Ermin. Impossible de faire dix mètres sans qu’il ne s’arrête pour saluer quelqu’un. Il a son pâtissier adoré. Ses bars préférés. Et pas seulement dans Mostar. Quand il décide d’aller à Blagaj, à une dizaine de kilomètres de Mostar, au Lazy Bar, là-bas aussi on l’attend. Un endroit au bord de la rivière où la dureté de la techno se mêle à la tranquillité du paysage.
Ermin habite dans la partie bosniaque de la ville et sort souvent du côté croate : « Je me moque de ces considérations. La religion, la nationalité qu’est-ce que c’est ? Simplement des mots qui ont été inventés par des idiots dans le passé ». Actuellement, il partage son temps entre son pays d’origine et la Suisse, d’où vient sa femme. Il nous emmène chez son meilleur ami qui tient le café Alma dans la partie croate de Mostar. En sirotant une boisson locale, il nous raconte l’histoire de sa famille à Mostar :
« Cela fait cinquante ans qu’avec ma famille nous gérons notre business à Mostar. Mon grand-père vendait des bureks, une spécialité bosnienne à base de pâte feuilletée et de viande. Mon père a ensuite repris ce commerce pour y créer son restaurant. Nous étions une famille prospère de Mostar et la guerre est passée par là. Le restaurant de mon père a brûlé. Depuis, nous avons tout reconstruit et je suis devenu le patron d’une auberge de jeunesse. »
Ermin s’investit un maximum pour sa ville. En développant son commerce, en soutenant le Mostar Partik, un mouvement citoyen. Il veut changer les choses. Mais comme de nombreux jeunes, il est pessimiste pour l’avenir de ce pays. A cause du gouvernement d’abord : « Nous avons une honte dans le pays, c’est le président. Mais comme ils sont trois : nous avons trois hontes », ironise-t-il.
« Le dernier qui part éteint la lumière »
Quant à la jeunesse qui s’exile massivement depuis quelques années, Ermin ironise en citant une blague fréquente en Bosnie-Herzégovine : « Le dernier qui part éteint la lumière ». Selon les chiffres du ministère des Affaires civiles de Bosnie-Herzégovine, durant les trois premiers mois de l’année, 16 000 personnes ont quitté le pays dont 60% de jeunes. A Sarajevo, les jeunes sont nombreux à envisager un départ. Quand ce n’est pas déjà fait.
Erna a 24 ans, elle étudie la biologie en République tchèque. Elle est revenue dans la capitale pour ses vacances. « En Bosnie-Herzégovine, le secteur de la biologie n’est pas vraiment développé et les structures ne sont pas adaptées à la formation et à la recherche, justifie-t-elle. On demande toujours la même chose, des budgets mais il n’y a jamais d’investissements. Il manque déjà énormément de matériel dans les hôpitaux donc imaginez pour les écoles, c’est encore pire. » D’autres étudiants, toujours en Bosnie-Herzégovine, envisagent un départ. «Les opportunités sont extrêmement rares pour trouver un travail. Personnellement, je ne sais pas ce que je ferai plus tard, mais j’envisage de partir vivre dans un autre pays », confie Nikola, étudiant en anglais qui vit dans la partie serbe de Sarajevo, à Lukavica.
Tous ces jeunes interrogés à Sarajevo parlent des mêmes phénomènes. Avec un taux de chômage chez les jeunes qui frôle les 60%, la Bosnie-Herzégovine a du mal à garder ses jeunes fraîchement arrivés sur le marché du travail. La corruption et les pistons pour obtenir un emploi , même dans le secteur public, sont monnaie courante. De quoi en décourager plus d’un.
Amer Osmić est professeur à la faculté de Sciences politiques de Sarajevo. Il est co-auteur du rapport Youth study in Bosnia and Herzegovina. « Le déclic, c’est quand j’ai réalisé que les deux institutions qui décevaient le moins les jeunes étaient la police et les institutions religieuses », se rappelle-t-il. Il est persuadé que les choses peuvent changer : « Il ne faut pas fuir face aux défis de la Bosnie-Herzégovine. C’est très important que ces jeunes participent à une forme d’amélioration, même s’ils débutent par un petit business comme une start-up, c’est toujours ça. »
« Le gouvernement ne fait pas attention aux jeunes »
Une atmosphère minimaliste et des stickers colorés affichés sur les murs. L’ambiance est propice à la création dans ce grand espace de coworking du centre-ville de Sarajevo. Bienvenue chez Munja. Cette ONG est un incubateur d’innovations sociales fondé par Jan Zlatan Kulenovic. Il est financé par des entreprises et plusieurs donateurs. Au sein d’un bâtiment ultra-moderne, plusieurs entrepreneurs réfléchissent à l’entreprise de demain. « Il s’agit de proposer à des jeunes, un endroit et des services pour faire mûrir leurs idées », explique Jan Zlatan Kulenović.
Dans ce lieu novateur, se côtoie surtout une jeunesse qualifiée issue de milieux urbains. Une minorité qui n’est pas à l’image du pays entier. Parmi ces jeunes actifs, Jan Zlatan Kulenović est sceptique sur le gouvernement et le système politique actuels. « Les relations entre le gouvernement et les jeunes ne sont pas très bonnes », lâche-t-il. Sans parler de la bureaucratie. Mais il n’en reste pas moins critique quand il entend les jeunes découragés face à un chômage de masse : « En Bosnie-Herzégovine, à cause du système et à mon sens d’un gros problème culturel, les jeunes sont passifs. Oui, le gouvernement ne fait pas attention à eux, mais s’ils restent dans cette logique, rien ne changera. » Il insiste : « les organisations étudiantes ne sont pas assez puissantes en Bosnie-Herzégovine. Les jeunes doivent être actifs dans les groupes de pressions. Ils doivent provoquer. Ils doivent être prêts à se battre pour leurs droits. »
Une autre association réputée, KULT, participe également au développement d’une société pour les jeunes. Semina et Nijalda sont deux jeunes filles investies dans ce projet.
« L’espoir meurt en dernier »
La campagne représente 80% du territoire en Bosnie-Herzégovine. Les jeunes sont nombreux à être issus des milieux ruraux. Medina et Sabina sont toutes deux étudiantes à Tuzla pour la première, Mostar pour la seconde. Ces deux sœurs restent optimistes, malgré le départ des jeunes de leur âge. « On aime notre pays. En Bosnie-Herzégovine on dit “L’espoir meurt en dernier“ , c’est un dicton très présent. Je ne pense absolument pas à partir en Allemagne », affirme Medina, catégorique. Dans la campagne de Živinice, près de Tuzla, ces deux sœurs sont hyperactives et multiplient les activités. Plus tard, Medina veut être professeure au collège, en Bosnie-Herzégovine. Elle est consciente des réalités auxquelles les jeunes sont confrontés mais ne veut pas se cacher derrière ça : « Je sais que la corruption est présente dans le pays. Mais je viens d’une famille fauchée, nous n’avions pas de quoi manger. C’était la misère totale et regarde maintenant, la famille est stable. » Medina rejette le discours pessimiste des jeunes : « Ça devient une excuse un peu facile, redondante, utilisée tout le temps. Moi je pense que quand tu te ramasses, c’est souvent de ta faute », lance-t-elle.
Said travaille aussi à la campagne, près de Živinice. Agronome et membre du club local d’aïkido du coin, Said est souvent au contact des jeunes. Pour lui, le débat ne doit pas porter exclusivement sur leurs responsabilités : « Tu vois, je pense qu’on peut parler des jeunes qui veulent partir et rester, mais il faut aussi s’intéresser aux parents de ces jeunes et de ce qui se passe dans les familles ».
À ses côtés, Jasmina ne peut s’empêcher de réagir. Cette jeune femme de 27 ans travaille pour PREC, un centre familial rural de formation à Živinice. Elle est animatrice et forme des adultes et des jeunes dans les domaines de l’agriculture et de l’agrotourisme. « Ici, il faut comprendre que les parents poussent les jeunes à partir. Je vois ça comme une transmission des traumas de la guerre ». Ils transmettent cette anxiété là à leurs enfants en leur disant : « on a une guerre tous les 40 ans, ce serait mieux que tu partes ». Et à Said de conclure : « Notre génération a une responsabilité. Celle de préparer le terrain pour les générations à venir. Il faut savoir ce qu’on va leur laisser ».
Rémi Simonet (texte et photos), Jodie Ferrett et Alice Huard (vidéos)