Korçë, le « petit Paris » d’Albanie
Située dans l’est du pays, Korçë est la septième ville d’Albanie, et la plus francophile du pays. Surnommée le« petit Paris », elle a été placée sous administration française pendant la Grande Guerre. Le cimetière français rappelle la présence tricolore, et le premier lycée français du pays, qui a ouvert ses portes en 1917 reste une institution phare de la ville.
En froid avec le royaume de Grèce et désireuse de rompre l’influence de l’Autriche-Hongrie en Albanie, la France décide d’occuper la région de Korçë en juin 1916. Le 2 octobre, le 1er régiment de chasseurs d’Afrique, commandé par le colonel de Fortou, prend officiellement possession de la ville. Il expulse alors l’armée grecque qui occupait la région depuis octobre 1914.
En décembre, le colonel Henry Descoins signe un accord avec la ville afin de l’administrer. La République de Korçë déclare son autonomie : son administration est confiée à un Conseil composé de 14 membres. Un protocole est alors signé entre les autorités militaires françaises et Themistokli Germenji pour y organiser la collaboration entre les pouvoirs locaux et les forces d’occupation. « La présence des Français était plutôt appréciée par la population car grâce à eux la zone était très sûre », selon Metch Bregu, jeune citoyen macédonien représentant de la francophonie à Korçë. Le départ des Français en 1920 met un terme à la petite République autonome.
Si certains habitants de la ville demeurent nostalgiques de cette époque, d’autres considèrent que cet épisode ne reflète pas la meilleure période de leur histoire. Aujourd’hui, lorsque l’on interroge les badauds, il ne leur reste qu’un souvenir très vague de la présence française.
L’ancienne présence française est encore visible aujourd’hui
Une des traces les plus visibles de la présence française à Korçë est le cimetière français. Sous l’initiative de l’Ambassade de France, 640 soldats y sont enterrés depuis 1938.
Il nous faut un certain temps pour localiser le gardien des clés qui demeure non loin de là. Besnik Mancelli nous explique que c’est son fils, un entrepreneur spécialisé dans l’aménagement des espaces publics, qui entretient le cimetière. « Bientôt, de nouvelles fleurs seront plantées mais pour l’instant, il fait trop chaud », précise t-il. L’homme droit et souriant nous explique que son fils s’occupe du site depuis près de trois ans, c’est l’Ambassade de France qui paye les charges. Nous le suivons à l’intérieur du cimetière.
Sur les rangées de croix grisâtres, aucune date de naissance, aucun message tel que « Repose en paix », mais de simples noms gravés à même la pierre. La plupart d’entre-eux sont d’origines étrangères, on y trouve des militaires venus d’Afrique ou d’Extrême-Orient. Sur place, deux touristes français arpentent les allées : « Nous ne savions rien du front d’Orient avant de venir ici. Nous sommes choqués par le nombre de soldats issus des colonies françaises. On se rend compte à quel point ils étaient considérés comme de la chair à canon… » explique Françoise Rouchet et Frank Kalflèche.
En face du cimetière, Sotiraq Mitre nous observe depuis son Bar Français (Bar Francezet) qu’il a ouvert en 1991. « La France est le meilleur pays d’Europe, aux niveaux culturel, industriel et économique ! » lance-t-il un peu naïvement. « Et même sportivement ! Je suis fan de l’équipe de foot française », poursuit-il. Gaqo Kacorri, Albanais de 74 ans, se roule une cigarette à la terrasse du bar et rêve tout haut : « Si les Français ou même les Italiens étaient restés à Korça, nous vivrions sûrement dans de meilleures conditions. » La France demeure synonyme de culture et de prospérité dans les rues de Korçë.
Aujourd’hui, les liens entre la France et l’Albanie ne sont pas rompus. Une commémoration se tient chaque année, le jour du 11 novembre au cimetière, en mémoire des soldats français du front d’Orient morts à Korçë. Des officiels locaux et français assistent à la cérémonie parmi lesquels le préfet de la région de Korçë, le maire de la ville, l’ambassadeur de France en Albanie ainsi qu’un représentant du ministère français de la Défense. Un autre héritage de la République de Korçë est le lycée français de Korçë Raqi Qirinxhi, fondé le 25 décembre 1917 sous l’initiative du Conseil qui régissait la République autonome. Gaqo Kacorri se souvient que le lycée a accueilli les talents les plus prometteurs de l’Albanie : « Là-bas il y avait les meilleurs spécialistes de l’époque, c’était l’élite ! ». Près d’un siècle plus tard, le lycée français est toujours ouvert et demeure l’une des institutions les plus courues de la ville.
Anna Lefour, Elta Liksenaj