DOSSIER : Les conséquences environnementales de la grande guerre
Craonne, un village entièrement détruit
Au milieu de la campagne, le village paisible de Craonne cache un passé douloureux. Situé entre Laon et Reims, cet endroit fut le théâtre de la boucherie humaine, il y a de cela presque cent ans. Les Allemands étaient alors positionnés sur le Chemin des Dames, une ligne de front de 30 kilomètres séparant la vallée de l’Aisne de la vallée de l’Ailette.
Après avoir bombardé la ligne allemande pendant dix jours, le 16 avril 1917, les troupes françaises partent à l’assaut. Cette date marque le début d’une longue guerre de position, chacun replié dans ses tranchées. 300 mètres à peine séparent les deux camps. De temps en temps, les soldats français tentent une percée pour faire reculer la ligne ennemie. Un véritable suicide pour les troupes. Perchés sur le haut des buttes, les Allemands mitraillent les soldats, qui tombent comme des mouches.
Après plus de six mois, les troupes germaniques quittent leurs positions. Entre le 16 avril et le 1er novembre 1917, 120.000 soldats français mourront dans cette région pour défendre leur patrie. La plupart auront servi de chair à canon dans des tentatives suicidaires, escaladant des pentes sous une pluie de balles avec 34 kilos sur le dos, d’autres sont morts de maladie ou des suites de leurs blessures. D’autres encore étaient fusillés pour désobéissance. Exténués et conscients de l’absurdité des ordres donnés, ces hommes refusaient de sortir des tranchées. Yves Daudigny, Président du Conseil général de l’Aisne écrit que cette région « est une trace sur un marbre immaculé de gloire. » La France a longtemps évité de parler de ce qui s’était passé sur le Chemin des Dames. Malgré la volonté de « réintégration dans la mémoire nationale des fusillés pour l’exemple » lors d’un discours de Lionel Jospin le 5 novembre 1998 à Craonne, cette question reste encore polémique.
L’agriculture témoin de la grande guerre
La première guerre mondiale eût de nombreuses conséquences humaines, économiques, territoriales, politiques… Mais aussi un impact agricole sur les terres labourées d’obus, ouvertes par des tranchées et piétinées par tant de soldats. Les arbres, les champs et toute la nature environnante restent les témoins meurtris des combats acharnés de 1917.
Rencontre avec Noël Genteur, agriculteur et ancien maire de Craonne.
La terre porte toujours les marques du sacrifice des soldats qui ont souffert et sont morts pour leur nation. Ces traces, les agriculteurs en pâtissent encore aujourd’hui. Sur les 800 hectares agricoles de Craonne, plus de la moitié sont inutilisables. Trop coûteux et difficiles à remettre en état, ces terrains sont appelées zones rouges. « La terre était comme du velours avant la guerre. Maintenant elle est pleine de cailloux et de morceaux d’obus » regrette Noël.
450 hectares de terre impropres à l’agriculture
Tous les jours, les habitants du village de Craonne, dans la région de l’Aisne, trouvent des débris de projectiles, rappelant les hommes tombés au combat en 1917. 45 tonnes de munitions sont encore trouvées par an dans la région de l’Aisne. Ces morceaux métalliques empêchent les machines de travailler correctement. Plus jeune, Noël Genteur se plaignait des conditions de travail difficiles : « Mon grand-père me regardait en souriant et me racontait : « tu sais Noël, quand on est revenus en 1919 on avait une petite charrue. La machine bloquait tous les deux mètres, on s’arrêtait, on creusait, on sortait les bouts de ferraille. On redémarrait. Un peu plus loin, la charrue bloquait à nouveau. Et c’était comme ça toute la journée. » » Aujourd’hui, Noël ne doit pas s’arrêter aussi souvent mais le travail de la terre reste très difficile. « Deux à trois générations seront encore nécessaires pour enlever tous les obus », explique l’ancien maire. Il n’est pas rare qu’il trouve encore des projectiles entiers, puisque 40 % des obus envoyés n’explosaient pas.
Tous ces métaux retrouvés dans les champs faisaient la joie des ferrailleurs. « Quand j’étais gamin, on ramassait les bouts d’obus. Si on trouvait un obus en cuivre, on pouvait se payer 40 carambars » se rappelle l’ancien maire avec nostalgie.
En 1917, une pluie de métal s’abattait sur Craonne. Détruisant tout sur son passage : maisons, arbres, routes, mais aussi canaux d’irrigation. Lors de fortes averses, l’eau s’écoulait dans les tranchées et les hommes se retrouvaient inondés.
Ces canaux ne sont toujours pas réparés, posant des problèmes pour les cultures. Des flaques un peu partout dans les champs témoignent de ce système d’irrigation défectueux. « Il faudrait beaucoup de main d’œuvre pour le remettre en état », explique Noël.
Des aimants pour soigner les vaches
L’élevage souffre aussi des conséquences des combats humains. En broutant l’herbe, il arrive que les vaches avalent des morceaux de barbelés, corps étranger pouvant entraîner la mort dans certains cas. La solution pour lutter contre ces pertes est la mise en place d’un aimant de la taille d’un briquet dans leur ventre pour attirer le métal.
En gambadant dans les prés qui, 97 ans plus tôt, étaient jonchés de cadavres, les vaches tombent sur d’autres rappels de la guerre : les tire-bouchons. Ces pieds de fils barbelés s’enfoncent dans leurs pattes, les blessant gravement.
Des arbres inutilisables
Aussi ondulé qu’une tôle, le sol des bois de Craonne porte les traces des tranchées creusées par les soldats. Les hommes s’y abritaient, espérant ainsi échapper aux tirs ennemis. Certains sont devenus fous à force de rester pliés dans ces espaces exigus.
Les combats ont aussi laissé un autre souvenir : des bouts des métaux dans les arbres. Les arbres comportant des éclats d’obus sont inutilisables. Le bois de chauffage, si précieux après la guerre, était par endroit impossible à couper. D’autres arbres sont morts, leurs racines rongées par le gaz des obus.
Et pourtant, une biodiversité incroyable
L’ancien maire de Craonne s’étonne de la richesse de la faune et de la flore aux alentours. « La période de régénération du territoire a été longue mais aujourd’hui la biodiversité est exceptionnelle. Nous avons énormément d’orchidées, mais aussi des salamandres, des chauves-souris et toutes sortes d’espèces rares. » Pour Noël, cette nature florissante est due à la baisse de pression de la civilisation, l’agriculture ayant pris le dessus. Au cœur de ce lieu chargé de mémoire, le Craonnais se questionne. « Lorsqu’il fait beau ici c’est un petit paradis. Mais quand on sait que des centaines de milliers de soldats sont encore sous nos pieds, on voit la folie de l’homme. Je n’arrive pas à la comprendre. » Noël Genteur se veut transmetteur des souvenirs de la grande guerre. Il lutte pour que ce lieu empreint d’histoire ne soit pas oublié.
Hélène Herman
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