Mickey, aubergiste à Sarajevo : « Que va-t-on laisser aux jeunes ? »
Mickey est aubergiste à Sarajevo. Père de trois enfants, il nous parle de la situation de la jeunesse en Bosnie.
Le sourire aux lèvres, Mickey s’arrête devant les diplômes de ses enfants. Soigneusement encadrés, ils décorent le mur de l’entrée. Dans ses mains, il tient fièrement le portrait de Vedad, son fils parti en Allemagne il y a deux ans pour y faire ses études de polytechnicien.
À 66 ans, Mickey est un homme plein de vie, drôle et généreux. Il tient une auberge à Sarajevo pour se garantir une retraite convenable. Installé sur sa terrasse, avec vue sur son grand jardin fleuri, il nous parle de lui, de sa vie, de ses enfants, de ses espoirs comme de ses désillusions.
Durant la guerre de Bosnie-Herzégovine, Mickey est blessé à deux reprises et se voit contraint d’arrêter de travailler. Anciennement guide touristique de Sarajevo, il se retrouve au pied du mur. Son épouse est alors femme au foyer et sa pension de retraite est trop basse pour pouvoir en vivre et permettre à ses enfants d’étudier. Il décide alors de transformer sa maison familial en guesthouse. C’est ainsi que naît la « Mickey Guesthouse ».
Cette nouvelle voie lui permet de stabiliser son quotidien et de se reconstruire après la guerre, mais aussi de s’occuper de jeunes étrangers, ses trois enfants ayant quitté le foyer familial pour leurs études. Sans cacher son émotion, il nous parle de son fils ainé qui était « le premier de sa promo » en études de pharmacie, de son autre fils parti en Allemagne, médaillé dans un concours de mathématiques, et de sa fille, « la meilleure étudiante de physique du canton ».
Malgré des résultats excellents, ses enfants ne sont pas épargnés. Comme la plupart des jeunes, ils se confrontent à un chômage massif. C’est plus de 60 % de la jeunesse bosnienne qui se retrouve sans travail après la fin de leurs études, la plupart du temps poussées jusqu’au master ou au doctorat. Un problème majeur puisque sans travail, les enfants dépendent financièrement de leurs parents et sont contraints de rester vivre au sein du foyer familial, ce qui ne leur permet pas de pouvoir se projeter dans une vie de couple ou de pouvoir assumer une vie de famille. La solution qui s’offre alors à eux est celle de partir. Selon l’étude Youth study Bosnia and Herzegovina, publiée par la faculté de Sciences Politiques de Sarajevo en 2015, 100 000 jeunes auraient quitté le pays entre 1995 et 2014. Pour Mickey, révolté, « les politiques ne se préoccupent pas des jeunes ».
Ce désintérêt de la politique se traduit aussi par une corruption très élevée. Selon plusieurs témoignages rapportés dans les rues de Sarajevo, les diplômes pourraient s’acheter et certains postes se gagneraient en adhérant à un parti politique. Sur sa terrasse, Mickey s’indigne face à la situation en déclin. « Pour moi, ma principale interrogation, c’est : que va-t-on laisser aux jeunes ? Maintenant, je vous pose la question : qui va avoir le courage de parler de corruption ? Tant que ce n’est pas résolu, le pays ne pourra pas avancer ».
Mickey aimerait désormais que ses enfants s’occupent de la guesthouse à Sarajevo, pour faire perdurer ce lieu d’échange et de partage. Mais, sans se l’avouer, il sait que leur vie est ailleurs.
Valentine ZELER