Skopje, ville figée en développement
Dans cette ville lumineuse se dressent des dizaines de grues surplombant des façades clinquantes, des bâtiments neufs côtoient des immeubles délabrés ou en travaux, et une trentaine d’imposantes statues en bronze voient à leurs pieds des enfants mendier. Ce contraste déstabilisant est le fruit du projet Skopje 2014 lancé en 2010 par le Premier ministre de Macédoine.
Sur la place centrale, la statue d’Alexandre Le Grand à cheval se dresse sur plus de vingt mètres, entourée d’une fontaine qui rafraichit l’ambiance étouffante. Elle est officiellement nommée « la statue du guerrier à cheval » afin d’éviter tout conflit culturel avec la Grèce qui revendique cet héritage. Une statue de son père, Philippe de Macédoine, se dresse de l’autre côté de la rivière Vardar. Ces figures historiques sont visiblement adulée par la population macédonienne. Leur règne correspond à la dernière période de prospérité et d’unité de la Macédoine.
Des lions statufiés encerclent la fontaine que domine le guerrier à cheval. Ils sont le symbole de la Macédoine, le symbole d’Alexandre III. Autour, d’autres statues de figures historiques du XIXe et XXe siècles sont postées aux angles de la place. Un sentiment de patriotisme et de nationalisme ostentatoire étouffe le centre-ville. Le vendeur de maïs grillé approuve ce changement récent : « C’est une bonne chose. Ces monuments représentent l’histoire de la Macédoine. L’histoire est grande, donc les statues le sont. L’argent n’est pas un problème. Plus il y a de statues, plus les touristes viennent en Macédoine et voient notre histoire.»
Derrière un arc de Triomphe neuf, dont les bas-reliefs transforment le monument en livre d’histoire ouvert sur la place publique, d’autres statues s’étalent. Un vieux macédonien s’exclame devant l’une d’elles : « C’est kitch, c’est trop.. Les gens n’ont pas besoin de ça. Avez-vous vu les conditions de vie ici ? ». Et pourtant la statue en question n’est autre que celle de l’ASNOM (Assemblée anti-fasciste pour la libération du peuple macédonien). Le vieux macédonien explique qu’il s’agit de l’assemblée qui proclama la République populaire de Macédoine en tant qu’Etat-nation fédéré de la Yougoslavie. Au centre, il reconnait le premier président de l’Assemblée, Metodija Andonov-Čento, qui donna sa vie et sa liberté pour faire de la Macédoine, un pays réunifié et indépendant. Sur un ton solennel et fier, il commente la statue : « C’est le jour de l’indépendance de la Macédoine. Le 2 août 1944, la Macédoine naît. C’est le début de quelque chose.»
Juste à côté s’élève la statue du comité des fondateurs de la première organisation qui s’est battue pour l’indépendance du peuple macédonien, en 1893 : L’ORIM (Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne). Une organisation secrète que traite Albert Londres dans son reportage sur les Comitadjis dans les Balkans. Face à elle, se dresse le Palais de l’Assemblée, rénové récemment, gardé par la statue de Pitu Guli, un soldat de l’ORIM leader de l’insurrection d’Ilinden.
Skopje expose sans pudeur la conquête de son indépendance, comme pour affirmer son identité aux yeux des Macédoniens et du reste du monde. Ce changement drastique de paysage divise les opinions. Le réceptionniste de l’hôtel s’exprime de façon confiante et fidèle à son gouvernement : « Le gouvernement a fait quelque chose. Que peut-on dire des autres gouvernements depuis 1991 ? Qu’ont-ils fait ? C’est le début de quelque chose. » Tandis que d’autres restent sceptiques devant cette tendance. « Nous n’allons pas vers le progrès, nous restons dans l’histoire passée. » déplore le vieux macédonien. Au lieu de se tourner vers une architecture futuriste, Skopje reste plantée devant son passé pour promouvoir et développer sa capitale.
Fanette Catala